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littérature romande - Page 19

  • L'Ami barbare à La Chaux-de-Fonds !

    Gilbert-Pingeon-et-Jean-Michel-Olivier_CHX.jpgAmis du Haut comme du Bas, je vous invite à une rencontre-signature, cet après-midi, à partir de 17h30, avec mon collègue Gilbert Pingeon, à la librairie Payot de La Chaux-de-Fonds, tenue par l'excellent Vincent Bélet.

    Venez nombreuses et nombreux !

     

  • Humeurs barbares

    humeurs barbares, dutonneau, livres, littérature romandeTa vraie patrie, ce sont les livres, depuis toujours. Et c’est là, au milieu des cartons éventrés et des piles de nouvelles parutions, que tu es véritablement à la maison. Chez toi. Toujours tu as un nouveau livre à me montrer. Un auteur inconnu à me faire découvrir. Un coup de cœur ou une révélation que tu as hâte de partager avec ton enthousiasme.

    En grec ancien, ce mot désigne l’inspiration, voire la possession par le souffle divin. Plus tard, avec Pascal, Spinoza et Nietzsche, l’enthousiasme sera lié à l’expérience mystique, à la joie extatique, à une forme de dévotion jalouse à un idéal ou une cause. Mais aussi, dans un sens plus obscur, à une passion qui implique un esprit partisan, aveugle aux difficultés et sourd aux arguments adverses.

    Pour moi, tu es cet esprit enthousiaste, au double sens du terme : un passeur d’exception, habité par une force mystique, effrayante de certitude, et un homme en proie aux démons partisans, capable de tout sacrifier aux idées qui l’animent.

    Certains jours, je te vois, guilleret, une pile de livres sous le bras, impatient de me recommander tel classique de la littérature slave ou polonaise. D’autres fois, d’humeur plus sombre, tu es en proie aux mille soucis d’une maison d’édition qui affronte la tempête. Taciturne. Ombrageux. D’une ironie mordante sur tes collègues qui ont déjà rédigé le faire-part de ton enterrement, et même les écrivains que tu publies.

    Peu de gens, dans cette humeur mélancolique, trouvent grâce à ses yeux.

    Ah cette poétesse locale, Sibylle Mollet ! Toujours vêtue d’une ample robe à fleurs de papier peint, grande amie des dames patronnesses et de mademoiselle Porée, elle pratique depuis toujours une poésie minimaliste qui laisse au lecteur le temps de respirer !

    « Ce n’est pas de la littérature, lances-tu, emphatique, c’est du goutte-à-goutte ! »

    Et ce pauvre Dutonneau ! Tu l’as porté sur les fonts baptismaux, naguère, alors qu’il doutait de son talent, mais il a perdu toute forme d’intérêt le jour où il a quitté la Maison.

    « Il y a dans la vie de chacun des rites de passage. Crois-moi : j’ai toujours défendu ses livres. Mais, à un moment, je lui ai dit : Étienne, il faut sortir de Pully ! Arrêtez le piano et les échecs ! Ne faites plus  qu’écrire. Entrez dans la vraie vie ! Cela l’a vexé, le chérubin ! Il se croyait au-dessus de la mêlée. Alors que son œuvre reste toujours à écrire. Un jour, nous avons refusé l’un de ses manuscrits parce qu’il n’était pas bon. Il en a pris ombrage. Il a claqué la porte de la Maison. Ensuite, bien sûr, comme tous ceux qui ont quitté le navire, il a invoqué des raisons politiques… »

    Et la grande dépressive ! Cheveux bouclés, grands yeux noirs et ronds comme des billes, l’air constamment éberlué, sourire crispé à la Juliette Gréco… Son petit panier à la main, elle vient te voir à chaque fois qu’elle pond un œuf ! Mais toi, cruel, tu refuses son offrande… Trop de pathos, de vide grandiloquent ! Elle te quitte en pleurant. Elle va trouver la folle des éditions Chloé qui lui tend un kleenex et lui dit qu’elle est la meilleure écrivaine de Carouge, donc d’Europe, et donc du Monde entier…

    « Ah le vieux grigou valaisan ! De temps à autre, il vient me voir, quand il descend de ses montagnes, besace au dos et bâton de pèlerin. Autrefois, j’ai eu le tort de publier une plaquette de poésie rupestre où figuraient quelques textes de lui. Depuis, il me réclame des fortunes ! Quand je lui dis que les affaires vont mal, il n’en croit pas un mot et menace de me traîner en justice ! Finalement, pour le calmer, je lui donne quelques livres et il s’en va sinon heureux, du moins rasséréné : il n’a pas eu à sortir son porte-monnaie… »

    Et le Suisse de Paris ! Colossal et gourmand, teint rubicond, coupe de cheveux d’un moine trappiste, une prétention égale au moins à son humilité, écrivant nuit et jour des romans que personne ne lit, mais conservant l’espoir, toujours, que son génie soit reconnu par un Prix littéraire… Il t’envoie tout ce qu’il gribouille : articles, notes de blanchisseur, brouillons de livres ésotériques… Tu jettes tout à la poubelle, sans lire une ligne, il en fait une jaunisse. Tu es le pire éditeur que la terre ait porté ! Encore un type qui veut ta mort…

    À chaque fois, c’est la même passion — ardente, joyeuse et communicative — mais à l’envers.

  • Toast à Pierre-Yves Lador, Prix des Écrivains vaudois 2013

    DownloadedFile.jpegSi, un jour, quelqu’un vient sonner à votre porte, un grand escogriffe barbu, un peu hirsute, en salopettes de jardinier, qui se prétend poète, par exemple, réfléchissez bien avant d’ouvrir ! Car il pourrait non seulement vous en cuire, mais surtout il se peut qu’il vous fasse découvrir des plaisirs dont vous ne soupçonniez pas même l’existence.

    Certains écrivains tissent leur toile comme les araignées. C’est une question de mailles et de coutures, de pièces rapportées, de plis et de faux plis, d’ourlets. Le lecteur aime à se prendre dans leurs fils avant, parfois, de se faire dévorer tout cru — ou tout cuit.

    D’autres écrivains construisent leur maison avec des mots. Elle est vaste comme une église ou secrète comme une chapelle. Parfois, elle ne comporte pas de fenêtre. Mais le plus souvent elle est percée d’une multitude de portes. On peut y pénétrer de plusieurs manières.

    « À peine la porte poussée, je me trouvai dans une espèce de bulle mouvante, souple et ferme, translucide. Je m’avançai vers une ouverture qui donnait sur une nouvelle bulle disposant de trois ouvertures. DownloadedFile-1.jpegIl s’agissait d’une espèce d’architecture de mousse, chuchotant ou chuintant, crissant, se balançant doucement. »*

    La maison de Pierre-Yves Lador est donc faite de mots, qui sont autant de portes ouvertes ou entrouvertes sur des multiples labyrinthes. Les mots s’ouvrent comme des portes, donc. Comme des fleurs aussi. De là vient la lumière. Le parfum des mots et des roses. Et ils ouvrent, à leur tour, ces mots, sur d’autres mots, qui s’ouvrent et guident le lecteur.

    On n’est plus dans le texte tissé par un maître tisserand, mais dans une architexture sonore où tout n’est que seuils et embrasures, serrures et mots-clés — et caisses de résonance.

    « Les portes n’ouvrent pas seulement un destin, mais des millions d’autres. Colomb ouvre la porte de la mondialisation, Sade la porte de la prison édénique et en tuant dieu, tue l’homme, Freud ouvre la porte de la peste, Jung la porte de la connaissance, Dali la porte cannibale, True Blood la porte animale… »

    Ouvrir sa porte, mesdames, à l’inconnu qui vient frapper, à l’alien, à l’étranger, au poète un peu hirsute, mais beau parleur venu vendre ses livres, cela vous expose donc à toutes sortes de périls !

    images.jpeg« Viens, la poésie je ne sais pas ce que c’est et tu ne fais pas tout ça pour vendre ta brochure à dix balles ! Est-ce que les autres t’en achètent ? Je dis que oui. Je remarquai alors que la porte comportait un verrou à cinq pênes et une barre de sécurité debout, inerte, dans l’encoignure et réalisai qu’elle ne les avait pas utilisés, se fiant à son petit verrou ordinaire. »

    Les serrures, les verrous, les chambranles, les bobinettes comme les fermetures-éclair ne résistent pas longtemps au poète qui sait jongler avec les mots. Et bientôt les dernières digues sautent, si j’ose dire, les corps se mêlent dans un mélange sans confusion de salive et de sperme.

    « Je humai, goûtai, regardai, auscultai. Nos doigts ne se démêlaient que pour s’enfiler, s’insinuer, s’enfoncer, glisser, limer, frotter, polir, pincer, griffer, s’accrocher, prendre, se faire aspirer avant d’être léchées comme des sucettes roses. Meilleurs ouvriers, nous passions sans cesse de l’animalité la plus faunesque à l’humanité la plus éclatée, entre fesses, orteils et oreilles, sauvages et empathiques. »

    Au passage, relevons le glissement du langage cru animal aux mots cuits de l’humain. Toute la poétique de Pierre-Yves Lador se cache dans ce glissement progressif vers le plaisir promis et suggéré par les mots.

    C’est encore une porte qui s’ouvre sur l’inconnu.

    « L’érotisme est une voie entre les mondes, dit Éliane, la grande prêtresse de l’amour. Désirer, c’est ouvrir la porte. Après, il faut passer le seuil…

    —     et revenir…

    — Si l’on veut, mais ne pense pas à revenir quand tu veux partir. Tu n’es pas de ces obsessionnels qui doivent défaire leurs pas pour revenir par le même chemin, comme on défait un tricot, pour refaire le peloton matriciel, le retour, s’il y en a un, se fait toujours en avançant, par un chemin neuf, neuf pour toi, toujours plus loin même si tu crois retourner ou rester immobile. La rivière est sans retour. »

    DownloadedFile-2.jpegOuvrir sa porte à l’inconnu, mesdames, c’est courir le risque d’être découvert (ou découverte).

    D’être entraîné dans un labyrinthe de mots au cœur duquel, bien entendu, veille le Minotaure, la bête humaine, l’homme au désir animal. Mais c’est aussi, pour Pierre-Yves Lador, une chance unique d’accéder à la connaissance, au cœur secret des choses, à l’essence de l’homme qui se révèle par la chair et les mots.

    Une crue de mots — parfois très crus — qui vous emportent dans leur sillage vers des tropiques où l’homme cuit sous le soleil, barbu un peu hirsute, un petit livre de poèmes à la main.

    * Pierre-Yves Lador, Chambranles et embrasures, édition de l'Aire, 2013.

    et La Guerre des Légumes, éditions Olivier Morattel, 2012.